CHAPITRE SEPT

Après complies, dans la douce lumière du soir, alors que le soleil traversait en oblique les jeunes feuilles, ils se dirigèrent tous les six vers la chapelle de bois et le cimetière solitaire, afin que les deux premiers pèlerins pussent prendre leur veille. Et voici qu’une autre procession s’avançait à leur rencontre : huit membres de la maison de Rhisiart sortaient du bois avec sur leurs épaules la bière de leur maître. La fille de leur seigneur, qui était maintenant leur chef, marchait à leur tête, droite et digne, vêtue d’une robe noire, avec sur le visage un voile gris sous lequel en signe de deuil ses cheveux flottaient librement. Elle avait l’air calme et figé, et regardait au loin. Elle en aurait intimidé plus d’un, même un abbé. Quand il la vit, le prieur hésita. Cadfael était fier d’elle.

Loin de s’arrêter en voyant Robert, son pas se fit plus vif et décidé et elle continua tout droit. A trois pas de lui, elle s’arrêta, si calmement qu’il aurait pu prendre cette attitude pour de la soumission. Mais il n’était pas si naïf. Il la regarda silencieusement, et la jaugea ; sans se rendre compte qu’elle était son égale ; il ne voyait qu’une jeune fille, lui faisant face.

— Frère Cadfael, dit-elle les yeux toujours fixés sur le prieur, venez près de moi et veuillez traduire ce que j’ai à dire au révérend prieur, car j’ai une prière à lui adresser.

Rhisiart était derrière elle, dans son cercueil ouvert, drapé de linges blancs, et chaque ligne de son corps était bien visible ; il reposait parmi des branches feuillues, porté dans une bière en bois. Le regard de tous ces Gallois, sombres, secrets, brillait comme des bougies près d’un catafalque ; ils voyaient tout sans rien exprimer. Et la fille était si jeune, si seule. Robert, au sommet de sa gloire, était mal à l’aise. Peut-être fut-il même touché.

— Je vous écoute, ma fille.

— On m’a dit que vous alliez veiller trois nuits en l’honneur de sainte Winifred, avant de l’emmener avec vous. Pour le repos de l’âme de mon père, s’il a péché contre elle, ce qu’il n’a jamais voulu, je vous demande l’autorisation de le laisser sur son autel pendant ces trois nuits, aux bons soins des veilleurs. Je voudrais qu’ils fassent une prière pour le pardon et le repos de son âme, une seule, pendant ces longues nuits. Est-ce trop demander ?

— C’est une demande honorable, répondit Robert, venant d’une fille loyale.

Après tout, il était d’origine noble, il connaissait la valeur des liens du sang et de la naissance, et il n’était pas que fausseté.

— J’espère un signe de grâce, poursuivit Sioned, surtout si vous m’approuvez.

Une telle requête ne pouvait qu’ajouter à sa gloire et à sa réputation. La fille unique et l’héritière de son adversaire venait lui demander son appui. Il n’était pas seulement content, mais aussi charmé. Il accepta gracieusement, conscient que tout le village le regardait. Aussi dispersées que fussent les fermes, à part les vilains qui n’occupaient qu’un lopin de terre, on les surveillait de partout dans les bois. Ah ! s’ils avaient pu observer Rhisiart d’aussi près quand il était en vie !

On installa la bière décorée de verdure sur les tréteaux devant l’autel, près du reliquaire qui attendait sainte Winifred. L’autel était petit et ordinaire, la bière le faisait paraître encore plus petit, et la lumière qui entrait par la fenêtre à l’est, éclairait à peine la scène, même avec le soleil du matin. Robert avait apporté des nappes d’autel pour draper les tréteaux. Puis les gens de Rhisiart s’en allèrent en silence, et laissant leur seigneur étendu en majesté, rentrèrent chez eux.

— Demain matin, dit Sioned, avant de partir avec eux, je viendrai remercier ceux qui auront intercédé pour mon père pendant la nuit. Je recommencerai chaque matin, avant qu’on l’enterre.

Elle s’inclina comme il convenait devant le prieur et s’en alla s’en rien ajouter, ni regarder Cadfael, en abaissant son voile sur son visage.

Jusque-là, pas de problème ! L’amour-propre intéressé de Robert, à défaut de compassion, lui avait donné sa chance. Il fallait voir ce qu’il en sortirait. L’ordre des veilles avait été décidé par le prieur en consultation avec le seul père Huw, qui souhaitait être le premier à veiller pour ouvrir son coeur à l’influence de Winifred, si elle voulait bien faire sentir sa présence. Frère Jérôme dont l’obséquiosité lassait parfois son maître l’accompagnerait ; Cadfael se réjouit de ce choix qui lui convenait parfaitement. Le premier matin au moins, nul ne saurait à quoi s’attendre. Après ça, les autres auraient beau être prévenus, ils n’y couperaient pas.

Le matin, quand ils se rendirent à la chapelle, de nombreux villageois étaient déjà là, rôdant discrètement à l’orée des bois et dans l’ombre parfumée des buissons d’aubépines.

C’est seulement quand le prieur et ses compagnons pénétrèrent dans la chapelle que les gens sortirent du couvert, et se rassemblèrent ; Sioned, assistée d’Annette, fut la première à s’approcher. On fit place aux deux jeunes filles ; les villageois se regroupèrent derrière elles, bloquant la porte et interceptant la lumière du matin, si bien que seules les bougies jetaient une lueur pâle sur la bière où reposait le mort.

Le père Huw se releva péniblement, ses genoux craquèrent un peu et il s’appuya sur le prie-Dieu jusqu’à ce que la circulation se fît à nouveau dans ses vieilles jambes ; A côté de lui, Jérôme se leva d’un geste vif et souple. Cadfael eut une pensée soupçonneuse pour ces veilleurs dévots qui s’endorment confortablement la tête dans les bras, mais pour le moment c’était sans importance. Il ne s’attendait guère à ce que le ciel miséricordieux déversât une pluie de roses à la demande de Jérôme !

— Ce fut une veille tranquille, dit Huw, et très calme. Je n’ai pas eu de visions extraordinaires, mais cela arrive rarement à nous autres, pauvres prêtres. Nous avons prié, mon enfant, et pas pour rien, j’en suis sûr.

— Merci, répondit Sioned. Avant de partir, puis-je vous demander une autre faveur ? Comme vous avez tous souffert pendant cette période troublée, acceptez-vous de montrer votre volonté de pardonner ? Vous avez prié pour lui ; je vous demanderai maintenant, chacun d’entre vous, de poser la main sur son coeur en signe de confiance et de pardon.

Les gens de Gwytherin, dans l’encadrement de la porte, étaient immobiles comme des arbres, mais tout aussi vivants ; ils n’étaient que regards, mais s’ils ne disaient rien, rien ne leur échappait.

— Volontiers ! s’exclama Huw.

Il s’avança vers la bière et posa doucement sa main rugueuse sur le coeur apaisé, et d’après le tremblement de sa barbe, il devait de nouveau prier en silence. Tous se tournèrent vers Jérôme, car il hésitait. Il n’avait pas l’air gêné mais plutôt absent. Il tourna vers Sioned un doux visage bienveillant, lui adressa machinalement un regard de compassion, et baissa modestement les yeux devant elle comme le prescrivait la règle, puis il se tourna, confiant, vers le prieur.

— Le père Huw a la charge de cette paroisse, et doit se soumettre à une forme de discipline, et moi à une autre. Le seigneur Rhisiart a sûrement accompli ses devoirs religieux, et je compatis. Mais il est mort de mort violente, sans confession ni absolution, ce qui laisse planer un doute pour le salut de son âme. Je ne puis me prononcer ici. J’ai prié, mais ne puis donner ma bénédiction sans autorisation. Si le père prieur pense que c’est juste et m’y autorise, je le ferai volontiers.

Ce discours filandreux surprit Cadfael et le laissa très dubitatif. Si le prieur avait autorisé ce meurtre et envoyé son féal serviteur le commettre, Jérôme n’aurait pas pu retourner plus clairement cette menace vers son supérieur. D’autre part, connaissant Jérôme, c’était peut-être une simple flatterie de plus. Et si Robert donnait gracieusement son accord, se croirait-il protégé, puisque la menace et la culpabilité s’adresseraient où il fallait, le laissant libre de toucher impunément sa victime ? Ça aurait eu moins d’importance si Cadfael avait vraiment cru que la victime saignât au contact du meurtrier[9] ; mais il croyait simplement, et c’était bien différent, que cette superstition très répandue était susceptible de mener le coupable, une fois coincé, à la terreur et la confession. La peur et la tension produisaient peut-être même une légère effusion de sang, mais il en doutait. Il commençait à penser que c’était aussi le point de vue de Jérôme.

Les regards de tous se tournèrent maintenant intensément vers le prieur, qui fronça les sourcils et réfléchit gravement pendant un moment. Finalement il rendit son jugement.

— Faites ce qu’elle vous dit sans vous tourmenter. Elle ne vous demande pas l’absolution, mais le pardon, ce qui est à la portée de tous.

Jérôme, reconnaissant pour cette précision, s’avança vivement vers la bière, et posa fermement la main sur le coeur du mort. Aucune tache rouge accusatrice n’apparut sous le suaire. Satisfait, il sortit derrière le prieur ; les autres lui emboîtèrent le pas. Les gens du village, silencieux, les fixèrent et s’écartèrent de la porte.

« Ouais, se dit Cadfael, les suivant, et ça prouve quoi ? Ne craint-il pas cette épreuve, parce qu’il n’y croit pas ou pense-t-il avoir fait retomber sa culpabilité sur le vrai coupable, quel que soit son rôle à lui, et donc être en sécurité ? A moins qu’il n’ait rien eu à voir là-dedans, dans ce cas tout cela était absurde. Il est assez mesquin pour refuser de faire un geste, à moins d’y trouver son compte. Eh bien, raisonna-t-il, on verra demain ce que fera le prieur quand on lui demandera d’accorder son pardon, au lieu d’être généreux avec celui des autres. »

Cependant ça ne se passa pas exactement comme prévu. Certes le prieur avait choisi de veiller cette nuit-là avec frère Richard. Mais comme ils se rendaient à la chapelle, le portier les héla quand ils passèrent devant chez Cadwallon, et ce dernier sortit en hâte, suivi d’un Gallois râblé, élégamment vêtu d’une courte tunique de cheval.

Cadfael n’en fut informé que quand le prieur revint à grands pas chez Huw, accompagné du nouveau venu, à l’heure précise où il aurait dû être à genoux dans la chapelle sombre, faiblement éclairée, pour tenir toute la nuit compagnie au mort, confrontation qui amènerait peut-être une preuve concluante. Mais il arriva juste à temps pour empêcher Cadfael de se rendre à la forge de Bened pour échanger les nouvelles fraîches et boire une coupe de vin. Et manifestement il n’était pas fâché d’échapper à cette nuit de veille.

— Frère Cadfael, nous avons un visiteur, et j’ai besoin de vous. Voici Griffith ap Rhys, le bailli du prince Owain à Rhos. Cadwallon l’a envoyé chercher pour la mort du seigneur Rhisiart ; je dois lui apporter mon témoignage et discuter des mesures à prendre. Il parlera à tous les témoins, mais il veut d’abord s’entretenir avec moi. J’ai dû envoyer frère Richard à la chapelle sans moi.

Jérôme et Columbanus étaient sur le point de regagner leur chambre chez Cadwallon, mais, en entendant cela, ils attendirent respectueusement.

— J’irai à votre place, père prieur, proposa Jérôme, sûr qu’on lui répondrait non.

— Vous avez déjà passé une nuit blanche. (Voire ! Dans cet intérieur sombre, allez savoir, même si le père Huw était quelqu’un de soupçonneux. Et Jérôme n’était pas du genre à se fatiguer inutilement.) Il faut vous reposer.

— Je serai heureux de prendre votre place, père prieur, proposa Columbanus tout aussi chaudement.

— Ce sera votre tour demain. Attention mon frère, évitez d’être arrogant sous couleur d’humilité. Non, frère Richard veillera seul cette nuit. Attendez tous les deux de pouvoir témoigner sur ce que vous avez vu et fait avant-hier, et puis allez dormir.

Ce fut long et ennuyeux, et la discussion énerva sérieusement Cadfael qui fut obligé de mettre en avant ses idées sur la vérité, non pas en faisant des fautes de traduction, mais en ajoutant son propre point de vue à ce qui s’était passé dans la forêt, près du corps de Rhisiart. Il ne supprima rien des propos de Robert mais de son propre chef il sépara les faits des suppositions, et ce qu’il avait observé des conclusions hâtives du prieur. Qui savait assez de gallois pour le contredire, sinon Griffith ap Rhys lui-même ? Ce dernier, sceptique autant qu’efficace, s’avéra non seulement capable d’écouter très attentivement mais aussi de pénétrer avec perspicacité les mobiles et les sentiments. Après tout, il était Gallois jusqu’à la moelle des os, et c’est bien ce qu’il y avait au coeur de ce problème : des os. Quand il en eut terminé avec Jérôme et Columbanus, les deux fidèles veilleurs dont l’un s’était traîtreusement endormi au lieu de faire son devoir (manquement que ni le prieur ni Jérôme ne jugèrent bon de signaler), Cadfael commençait à penser qu’il pourrait compter sur le bon sens d’Owain et qu’il était inutile de taire l’essentiel de ce qu’il savait ou manigançait. Mais il jugea qu’il avait surtout besoin de temps et que s’il gagnait un ou deux jours en envoyant Griffith recueillir des témoignages dans la paroisse, il arriverait peut-être à mener à bien son enquête. La justice officielle ne va jamais chercher loin, elle se contente de ce qui se présente et en tire les conclusions qui s’imposent. Il fallait parfois payer le maintien de la paix et de l’ordre d’un doute irritant. Mais ce doute, Cadfael refusait de le laisser planer sur frère John ou Engelard. Non, il irait jusqu’au bout à sa façon et présenterait ses conclusions au prince et au bailli.

Sioned ne put rien faire d’autre le lendemain que de demander à frère Richard, qui ne désirait que vivre dans la paix et l’harmonie, de faire un geste de pardon envers son père, et de lui donner la bénédiction. Il s’exécuta sans y voir malice et s’en alla sans savoir ce qu’il avait fait ni de quoi il était absous.

 

— Vous m’avez manqué, s’écria Bened à qui Cadfael rendit une brève visite entre la messe et le dîner. Padrig est venu un moment, on a évoqué le passé, l’époque où Rhisiart était plus jeune. Padrig vient depuis pas mal d’années. Il nous connaît tous. Il a demandé après vous.

— Dites-lui qu’on boira un coup un de ces jours, et que je m’occupe de Rhisiart, si ça doit le réconforter.

— On s’habitue à vous, dit Bened, penché sur son feu, tandis qu’un adolescent nerveux s’activait sur le soufflet. Vous devriez rester, il y a de la place pour vous ici.

— J’ai déjà ma place, rétorqua Cadfael. Ne vous souciez pas de moi. Je savais ce que je faisais en rentrant dans les ordres.

— Tous vos confrères ne sont pas comme vous, dit Bened, tenant en main le fer qu’il allait poser sur le sabot.

— Les moines, les prieurs, ça va, ça vient. Il y en a de toutes sortes, mais l’Église demeure. Certains ne sont pas à leur place, je vous l’accorde, surtout des jeunes, qui ont pris le refus d’une fille pour la fin du monde. Ils pourraient faire de bons artisans s’ils retrouvaient leur liberté. Simple supposition, certes, et peut-être pourraient-ils apprendre à devenir forgerons.

— Pour ça, il est costaud, pas à dire, remarqua Bened songeur, et il ne traîne pas à faire ce qu’on lui demande pour peu qu’on sache quoi lui demander. C’est la moitié du travail. S’il n’a pas laissé s’échapper le meurtrier de Rhisiart, aucun étranger ne sera mieux accueilli. Enfin moi, je n’en sais rien, mais la pauvre, elle, croit savoir. Et si elle s’était trompée ? Qu’en pensez-vous ?

— Attendez, répondit Cadfael, avec un peu de temps, on saura.

 

Au troisième jour de sa prétendue captivité, frère John s’aperçut qu’on le surveillait de plus près. On savait que le bailli circulait dans la paroisse, posant des questions sur la mort de Rhisiart, et nul n’ignorait qu’il avait eu un long entretien avec le prieur au presbytère et qu’on lui avait sûrement suggéré fermement de s’occuper aussi de frère John. Il n’avait rien à redire sur le logement, la nourriture ou la compagnie ; il avait rarement été si heureux. Mais depuis deux jours, sauf à de brefs moments où la prudence s’imposait, il était dehors de l’aube au crépuscule, il donnait un coup de main pour le bétail, coupait du bois pour le feu, allait chercher ceci ou cela, plantait des légumes, et il n’avait guère eu le temps ni l’envie de s’interroger sur son propre sort. Maintenant qu’on l’avait de nouveau enfermé, et qu’il était assis désoeuvré, il se rongeait les sangs. Son ignorance du gallois et l’absence de frère Cadfael pour pallier ce manque devenaient difficiles à supporter. Il ignorait ce que manigançaient Cadfael et Sioned, ce que devenaient sainte Winifred, le prieur et ses compagnons, et surtout où était Engelard et comment il allait se tirer de ce guêpier. Depuis son geste instinctif de solidarité il s’estimait concerné par Engelard qu’il souhaitait voir en sécurité, vengé et heureux avec sa Sioned.

Mais celle-ci, fidèle à sa parole, ne s’approchait jamais de lui, et sur le domaine nul ne pouvait lui parler normalement. Pas de difficultés pour les choses simples, mais on ne pouvait lui communiquer toutes les informations qui lui manquaient. Sa bonne volonté était inutile, il s’inquiétait pour ses amis à qui il ne pouvait venir en aide.

Annette lui apporta son dîner et s’assit près de lui tandis qu’il mangeait. C’était bien beau de lui apprendre des expressions simples en gallois en lui montrant ce dont elle parlait, mais comment lui dire, comme elle en brûlait d’envie, ce qui se passait à la chapelle, et ce qu’on disait et pensait au village. Leur incapacité à parler rendait leurs rencontres presque silencieuses, mais parfois ils se parlaient, elle en gallois, lui en anglais, exprimant ce qu’ils ne pouvaient plus taire, et qu’ils ne comprendraient que plus tard ; leur intonation cependant exprimait leur amitié comme une caresse qu’ils retenaient. Ainsi poursuivaient-ils leur monologues, pourtant bien réconfortants.

Parfois, mais ils l’ignoraient, ils se répondaient.

— Je voudrais bien savoir, disait Annette, d’une voix douce et hésitante, qui t’a amené à prendre l’habit ? Sioned et moi n’avons pu nous empêcher de nous poser la question.

S’il avait compris le gallois, elle n’aurait jamais pu lui dire ça.

— Je me demande bien ce que j’ai pu lui trouver à cette Marjorie, s’étonnait John, et pourquoi j’ai si mal pris son refus. Mais je n’avais jamais vu de belle fille avant de te rencontrer.

— Elle nous a joué un sale tour, soupira Annette, en te forçant à devenir moine.

— Bon Dieu, s’exclama John. Dire que j’aurais pu l’épouser. Elle m’a au moins rendu ce service en me disant « non ». Seul mon habit nous sépare, pas une épouse.

Et pour la première fois, l’idée lui vint qu’il pourrait rompre ses voeux. Cette pensée lui fit tourner la tête et regarder de plus près le joli visage si près du sien. Ses joues étaient douces et rondes comme des fleurs de pommier, avec une ossature délicate, une peau dorée ; ses yeux étaient comme une source quand le soleil joue sur les galets brillants, d’une pureté de cristal.

— Tu penses encore à elle ? murmura Annette, inquiète. Cette pimbêche qui n’a pas été fichue de savoir à qui elle avait affaire ?

C’est vrai qu’il était beau et solide, ce jeune homme toujours de bonne humeur, avec ses longues jambes musclées, ses grandes mains adroites, et ses boucles rousses. Et cette idiote qui s’était crue trop bonne pour lui !

— Je la déteste ! s’écria Annette, en se penchant imprudemment vers lui.

Les lèvres qui le tentaient avec ces mots si doux qu’il ne comprenait pas étaient tout près des siennes.

En désespoir de cause il eut recours au langage des gestes qui ne demande pas d’interprète. Depuis Marjorie, la fille du drapier qui l’avait rejeté quand son père était devenu bailli de Shrewsbury, il n’avait pas embrassé de fille, mais apparemment il n’avait oublié ni l’art ni la manière. Annette fondit dans ses bras, et elle lui convenait beaucoup mieux que ses voeux prononcés trop vite.

— Annette, haleta John, qui ne s’était jamais senti aussi peu moine de sa vie, je crois bien que je t’aime !

 

Cadfael et Columbanus traversaient le bois ensemble pour la troisième nuit de prière. La soirée était douce et calme, seulement un peu nuageuse, et sous les arbres la lumière prenait une teinte vert sombre. Il y eut jusqu’au dernier moment une possibilité pour que le prieur, ayant manqué sa nuit de veille, pût choisir d’être présent cette dernière veille, mais il n’en avait rien dit, et à la vérité Cadfael commençait à se demander si ce long entretien avec le bailli avait vraiment été nécessaire, ou si Robert avait sauté sur l’occasion d’éviter cette nuit de veille et de répondre à la requête de Sioned au matin. Ça ne voulait rien dire, sauf qu’il refusait peut-être de devoir pardonner à Rhisiart ou d’avoir à le faire devant sa fille. L’humilité et la magnanimité ne faisaient pas partie des qualités du prieur. Il était toujours sûr d’avoir raison, et quand on le défiait il n’était pas homme à pardonner.

— Pour cette quête et cette veille, mon frère, dit Columbanus qui avec ses grandes jambes se maintenait sans peine à la hauteur de Cadfael, avec sa démarche chaloupée de marin, nous sommes des privilégiés ! L’histoire de l’abbaye conservera les noms de nos moines, et nos frères, dans les générations futures, nous envieront.

— J’ai entendu dire que le prieur se propose d’écrire une vie de sainte Winifred qu’il terminera par sa translation à Shrewsbury, répliqua sèchement Cadfael. Vous pensez qu’il notera le nom de tous ses compagnons ?

« Il parlera probablement de toi, songea-t-il in petto, le pauvre moine qui est tombé malade et qu’on a envoyé à Holywell pour qu’il guérisse. De Jérôme aussi qui a eu ce rêve à partir duquel on t’a envoyé là-bas. Mais sûrement pas de moi, et c’est tant mieux ! »

— J’ai une faute à me faire pardonner, rappela dévotement Columbanus, car dans cette chapelle j’ai manqué à ma foi, moi qui aurais dû être le plus attentif de nous tous.

Ils arrivèrent à la porte à demi cassée ; le fouillis du cimetière s’étendait devant eux, que traversait un étroit sentier à peine visible dans les hautes herbes.

— Une sainte odeur me parvient, murmura, tremblant, le jeune homme, levant son pâle visage. Une lumière m’attire. Il me semble qu’un miracle va se produire. Quelle grâce pour moi qui l’ai trahie en m’endormant !

Il s’avança vers la porte, ralentissant le pas dans son enthousiasme, les mains tendues comme s’il allait étreindre une maîtresse et non s’incliner devant une sainte. Cadfael le suivit, morose et résigné, habitué à ces ardeurs gênantes, peu enthousiaste à l’idée d’être enfermé avec lui toute une nuit dans cette petite chapelle. Il devait prier et réfléchir, et Columbanus n’incitait guère à ces activités.

L’air de la chapelle était entêtant, elle sentait le vieux bois, les épices et l’encens des draperies où l’on avait posé le reliquaire ; il y avait une vague odeur de vieilles poussières et d’abandon partiel. Une petite lampe à huile ornait une flamme jaune sombre sur l’autel, Cadfael s’avança et y alluma les deux bougies qu’il disposa de part et d’autre de l’autel. Par l’étroite fenêtre du mur le vent léger colporta l’odeur des aubépines qui tombaient et pendant quelques minutes la fraîcheur fit vaciller les flammes. Leur pâle lumière dansante se refléta tout près, sans atteindre les angles du toit, ni se fixer sur les murs. Ils étaient dans une étroite caverne sombre, sentant le bois, avec devant eux une zone diffuse de lumière qui brillait sur un cercueil vide et un corps sans sépulture, faisant tout juste ressortir la silhouette des grossiers prie-Dieu disposés côte à côte, à quelques pas du catafalque. Rhisiart gisait près d’eux, la masse noire et argentée du reliquaire semblable à un mur bas le protégeait des lumières de l’autel.

Frère Columbanus, humblement, s’inclina très bas devant l’autel et prit place sur le prie-Dieu de droite. Cadfael s’installa sur celui de gauche et avec la force de l’habitude, chercha et trouva la meilleure place pour ses genoux. Le calme descendit doucement sur eux. Il se prépara à une longue veille, et dit pour Rhisiart une prière qui n’était pas la première. L’obscurité, une douce lumière, toujours la même, le lent passage du temps, la solitude qui l’entourait, ainsi que le monde peuplé et troublé, tout cela s’inséra dans un mouvement perpétuel au rythme comparable à celui du sommeil. Il oublia jusqu’à l’existence de Columbanus. Il priait comme il respirait sans former ni mots, ni requêtes précises, avec simplement dans le coeur, comme des oiseaux blessés qu’on tient dans ses mains, tous ces gens malheureux à cause de la petite sainte, car si lui souffrait autant, que devait-elle éprouver ?

Les bougies dureraient toute la nuit, d’instinct il compta les heures en les regardant diminuer, et il sut quand minuit approchait.

Il pensait à Sioned à qui il n’aurait rien à offrir au matin, sauf lui-même et cet innocent confit en dévotions, ce qui ne suffirait pas, quand il entendit un bruit très étrange et très doux venant du prie-Dieu voisin, où Columbanus, penché en avant, s’absorbait totalement dans ses prières. Il ne se cachait plus la tête dans ses mains, il les élevait et les tendait au contraire vers la lumière, qui, pour faible qu’elle fût, mettait en valeur son profil aigu. Les yeux grands ouverts traversaient le mur de la chapelle ; dans son ravissement ses lèvres s’entrouvraient et il chantait très faiblement une hymne latine à la gloire de la virginité. C’était à peine audible, mais clair cependant comme dans un rêve. Et avant que Cadfael se fût vraiment rendu compte de ce qui se passait, il vit le jeune homme se lever d’un bond, cramponné au prie-Dieu, et se dresser devant l’autel. Il cessa de chanter. Soudain il se haussa sur la pointe des pieds, la tête rejetée en arrière comme s’il voulait voir la nuit étoilée à travers le toit, et il étendit les bras comme un crucifié. Il poussa un grand cri inarticulé où se mêlaient le triomphe et la souffrance et il tomba de tout son long sur le sol en terre battue, lourdement, tout raide, les bras encore en croix, tendu de la tête aux pieds, et il resta là, le front sur les franges de la nappe d’autel qui tombait de sous le corps de Rhisiart.

Cadfael se leva rapidement et se dirigea vers lui, partagé entre l’inquiétude et l’anxiété d’une part, le dégoût et la résignation d’autre part. « Exactement ce à quoi on pouvait s’attendre de la part de cet idiot », se dit-il exaspéré, agenouillé, tâtant le front de Columbanus, sous lequel il plaça un peu de la nappe d’autel pour soulager le nez et la bouche et il tourna sur le côté la tête du jeune homme pour qu’il pût respirer normalement. « J’aurais dû reconnaître les signes ! A la moindre occasion il s’offre une crise de dévotion ou de mysticisme à la demande. Un de ces jours sa lumière l’attirera trop loin et il ne reviendra pas. Je note cependant qu’il peut s’écrouler face contre terre sans se faire mal, et tomber en convulsions pieuses provoquées par ses visions ou ses péchés sans se cogner à quoi que ce soit de tranchant ou de pointu, ni même se mordre la langue. S’il y a un Dieu pour les ivrognes, il y en a un aussi pour les convulsionnaires. » Et il se dit à part soi, sans emphase, qu’il y avait sûrement une morale dans tout cela, où tous les excès se mêlaient.

En tout cas, pas de convulsions, cette fois. Il avait simplement vu ce qu’il avait vu, ou cru voir, et il s’était écroulé sous l’effet de cette extase dévastatrice. Cadfael le secoua doucement par l’épaule, puis plus fort, mais il était tout raide et sans réaction. Son front était lisse et frais et ses traits, mal discernables dans l’obscurité, paraissaient détendus, exprimaient la paix, la douceur et la joie. Sans cette rigidité, et cette attitude si peu naturelle de crucifié, on aurait cru qu’il dormait. Pour le soulager, Cadfael n’avait pu que lui tourner la tête pour qu’il reposât sur sa joue droite, appuyé aux draperies. Quand il essaya de plier son bras droit, et de le disposer plus confortablement sur le côté, les articulations résistèrent, et il le laissa tel quel.

« Et maintenant, se demanda-t-il, que suis-je censé faire ? Abandonner ma veille et aller chercher le prieur ? Qu’est-ce qu’il fera de plus ? Si je ne peux pas le réveiller, ils n’y arriveront pas non plus. Il ne s’est pas blessé, il respire normalement. Le coeur bat régulièrement, il n’a pas de fièvre. Il trouve son bonheur où il peut, et tant qu’il ne souffre pas... Il ne fait pas froid, et je peux toujours le couvrir avec une nappe d’autel ; il appréciera sûrement. On est venus veiller, eh bien on veillera, moi à genoux et lui, comme il est en ce moment, dans ses rêves. »

Il couvrit Columbanus, lui fit un oreiller d’une nappe d’autel, et retourna à son prie-Dieu. Mais quel qu’ait été l’effet de cette Visitation sur Columbanus, elle empêcha Cadfael de penser et de se concentrer. Plus il essayait de prier et de méditer, ou de se demander où en était Sioned pour le moment, et plus le gisant attirait son attention : respirait-il normalement ? Cette nuit qui aurait dû être profitable, lui pesait, perdue pour la prière ou la réflexion ; et elle passa lentement et péniblement.

Ce fut une bénédiction quand l’obscurité s’adoucit, grise comme une aile de colombe ; la délivrance était proche. L’espace étroit de ciel gris visible à travers la fenêtre de l’autel se changea en vert pâle et clair, passa du vert au safran, du safran à l’or ; dans le matin sans nuage, le premier rayon de soleil perça l’ouverture étroite et tomba sur l’autel, le reliquaire, le corps dans son linceul, et, comme une épée d’or, traversa la chapelle, laissant Columbanus dans l’ombre. Il était toujours cataleptique, mais, s’il n’entendait rien il respirait normalement.

Il était dans le même état quand le prieur arriva avec ses compagnons, suivi de Sioned et Annette, et de tous les gens du village et des tenures voisines, silencieux et attentifs comme auparavant pour voir se terminer cette troisième nuit de veille.

Sioned entra la première ; la pénombre ambiante, après la lumière du dehors l’aveugla un moment, et elle dut s’arrêter sur le seuil pour s’habituer à ce changement. Le prieur était juste derrière elle quand elle vit les semelles des sandales de Columbanus devant elle. Stupéfaite, horrifiée, les yeux grands ouverts, elle poussa un cri aigu avant que Cadfael n’ait eu le temps de la rassurer :

— Que se passe-t-il ? Est-il mort ?

Le prieur l’écarta, et s’avança rapidement, ne s’arrêtant que pour éviter de piétiner l’ourlet de la robe de Columbanus.

— Qu’est-il arrivé ? Frère Columbanus !

Il se pencha et toucha une épaule toute raide. Columbanus continuait à rêver, loin de tous.

— Frère Cadfael, que signifie ceci ? Que lui est-il arrivé ?

— Il n’est pas mort, répondit Cadfael, commençant par le commencement, et selon moi il ne court aucun danger. Il respire normalement, il a bonne mine et n’a ni fièvre ni blessure. Simplement à minuit, il s’est soudain dressé devant l’autel, les bras en croix, et il est tombé en avant, en transe. Il est resté ainsi toute la nuit, sans bouger.

— Vous auriez dû nous appeler, dit le prieur, aussi troublé que décontenancé.

— Il fallait aussi que je veille comme on m’avait envoyé le faire, c’était mon devoir, répliqua brièvement Cadfael, je lui ai mis un oreiller, une couverture ; qu’auriez-vous fait de plus ? Je pense qu’il ne nous aurait pas été reconnaissant de le transporter ailleurs avant l’heure. Il a veillé fidèlement, et si on ne peut pas le réveiller, maintenant on peut l’emmener à son lit, en ayant respecté son sens du devoir.

— Il y a du vrai là-dedans, affirma frère Richard avec ferveur, vous savez que frère Columbanus a plusieurs fois été visité, des visions lui sont venues, l’heureux homme ; peut-être eût-il été mal de l’emmener loin de l’endroit même où ces bénédictions l’ont visité. S’il en est ainsi, il s’éveillera au moment choisi ; peut-être lui ferions-nous du tort en essayant de hâter ce moment.

— C’est vrai, admit le prieur, rassuré, il a l’air calme, il a bonne mine, il ne semble ni souffrant ni inquiet. C’est très curieux. Notre jeune frère serait-il encore l’objet d’un prodige comme lors de son affliction qui nous a attirés vers sainte Winifred ?

— Il a déjà été l’instrument de la grâce, dit Richard, et il peut l’être encore. Emmenons-le chez Cadwallon, mettons-le au chaud et attendons. Non, emmenons-le chez le père Huw, pour qu’il soit à proximité de l’église. Peut-être voudra-t-il d’abord rendre grâce ?

A l’aide d’une lourde couverture d’autel et de leurs ceintures ils fabriquèrent de quoi transporter Columbanus et le soulevèrent ; il était toujours raide comme la justice, les bras en croix. Ils l’installèrent à plat dos sur ce brancard improvisé ; il subit tout, sans un mot, sans un geste. Quelques villageois, respectueux et émus s’avancèrent pour donner un coup de main et l’emmener chez Huw. Cadfael les laissa partir. Il se tourna vers Sioned... qui se tournait vers lui, le regard dubitatif.

— Moi au moins, j’ai la tête sur les épaules, affirma-t-il, et je vais faire ce que vous ne m’avez pas demandé.

Il s’approcha de Rhisiart, lui posa la main sur le coeur et se signa sur le front.

Elle resta à ses côtés comme ils suivaient la lente procession en route vers le village.

— Que peut-on faire de plus ? Si vous avez une idée, dites-le-moi. Nous n’avons pas eu de chance jusqu’à maintenant. Et on l’enterre aujourd’hui.

— Je sais. (Cadfael était morose.) Pour ce qui s’est passé cette nuit, j’hésite. Tout a peut-être été arrangé à l’avance pour renforcer notre cause par un autre miracle. Pourtant deux choses me choquent. La stupéfaction et l’inquiétude du prieur m’ont paru sincères. Columbanus a déjà montré ses petits talents, la façon dont ça le prend est brutale et dangereuse ; difficile de le croire simulateur. Un acrobate de foire, qui gagne sa vie en prenant des risques sérieux, ne ferait pas mieux que lui quand il a sa crise. Je ne sais que penser. Certains vivent sur le fil du rasoir, et parfois ils se jettent dans le vide sans savoir s’ils se retrouveront au ciel ou en enfer.

— Tout ce que je sais, scanda Sioned, brûlant d’un feu sombre, est que mon père que j’aimais a été assassiné. Je veux que justice soit faite et je refuse le prix du sang. Aucun ne suffira à compenser celui de Rhisiart.

— Mais oui ! Mais oui ! dit Cadfael. Moi aussi je suis gallois. Mais ne vous fermez pas à la pitié. Qui sait quand nous en aurons besoin vous et moi ! Avez-vous parlé à Engelard ? Il va bien ?

Elle frémit, rougit et s’adoucit à côté de lui, comme une fleur gelée que le vent du sud ressusciterait par miracle. Elle ne répondit pas. C’était inutile.

— Ah, vous vivrez ! déclara Cadfael, satisfait. Comme il l’aurait souhaité. Même s’il vous a d’abord opposé un refus, comme tout seigneur gallois l’aurait fait. Vous auriez fini par l’emporter, vous aviez raison. Bon, écoutez, il y a encore une ou deux choses que vous devez faire. Il faut tout essayer. Ne rentrez pas tout de suite. Qu’Annette vous emmène vous reposer chez Bened, puis venez toutes les deux à la messe. Qui sait ce qu’on apprendra quand notre saint à moitié fou reprendra ses esprits. Et quand vous enterrerez votre père, assurez-vous que Peredur viendra avec le sien. Il pourrait essayer de s’esquiver, s’il vous a évitée jusque-là, mais si vous le lui demandez il ne pourra pas refuser. J’ai plusieurs choses en tête, encore assez confuses, à propos de maître Peredur.

Trafic de reliques
titlepage.xhtml
Peters,Ellis-[Cadfael-01]Trafic de reliques.(A Morbid Taste for Bones).(1977).French.ebook.AlexandriZ_split_000.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-01]Trafic de reliques.(A Morbid Taste for Bones).(1977).French.ebook.AlexandriZ_split_001.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-01]Trafic de reliques.(A Morbid Taste for Bones).(1977).French.ebook.AlexandriZ_split_002.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-01]Trafic de reliques.(A Morbid Taste for Bones).(1977).French.ebook.AlexandriZ_split_003.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-01]Trafic de reliques.(A Morbid Taste for Bones).(1977).French.ebook.AlexandriZ_split_004.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-01]Trafic de reliques.(A Morbid Taste for Bones).(1977).French.ebook.AlexandriZ_split_005.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-01]Trafic de reliques.(A Morbid Taste for Bones).(1977).French.ebook.AlexandriZ_split_006.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-01]Trafic de reliques.(A Morbid Taste for Bones).(1977).French.ebook.AlexandriZ_split_007.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-01]Trafic de reliques.(A Morbid Taste for Bones).(1977).French.ebook.AlexandriZ_split_008.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-01]Trafic de reliques.(A Morbid Taste for Bones).(1977).French.ebook.AlexandriZ_split_009.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-01]Trafic de reliques.(A Morbid Taste for Bones).(1977).French.ebook.AlexandriZ_split_010.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-01]Trafic de reliques.(A Morbid Taste for Bones).(1977).French.ebook.AlexandriZ_split_011.htm
Peters,Ellis-[Cadfael-01]Trafic de reliques.(A Morbid Taste for Bones).(1977).French.ebook.AlexandriZ_split_012.htm